13.5.06

Lalia

Sur la page blanche brunie par le sable, j’écris avec application, détachant chaque lettre : « Babette la baleine fait de bien belles bulles ».

- Tu diras ça aux autres Québécois, ils vont rire, c’est sûr !

Elle rit, elle, Lalia. Elle savoure déjà les deux minutes d’attention qu’elle réussira à obtenir de la part des toubabous à leur arrivée, grâce à cette phrase qu’elle ne comprend pas, mais qu’elle apprend par cœur tout de suite. Les jeunes volontaires seront de passage pour quelques mois, mais avec son rire, ses yeux noirs, son accent québécois lové au creux de son français de l’Afrique de l’Ouest et ses expressions à la « Awèye, lâche pas la patate ! » et à la « Kessé tu veux ? », elle saura les amadouer dès qu’ils débarqueront. Elle gagnera ainsi la chance de les côtoyer durant les 2 mois de leur séjour. Elle apprendra d’autres bouts de phrase, qui charmeront les suivants. Elle glanera des images qui la feront rêver. Elle pourra continuer de construire son grand rêve : aller au Québec… et se marier avec Garou.

Lorsque je lui dis que j’ai déjà fréquenté le bar où Garou a fait ses débuts, je deviens le centre de toute son attention. Hier, alors qu’elle me tressait les cheveux, nous avons chanté ensemble « Sous le vent », de Céline et Garou. Elle connaissait mieux les paroles que moi. Elle chantait mieux que moi. Elle est plus belle que moi, aussi.

Elle rêve d’aller étudier en France et de devenir journaliste. Elle rêve surtout de quitter sa famille. Je n’ai pas trop bien compris son histoire. J’ai entendu les mots elle est battue, ses parents sont morts… Souvent, elle restait avec nous longtemps le soir. Allongée dans le sofa à l’extérieur, elle finissait par laisser tomber son rire si joyeux. Ses yeux s’assombrissaient, comme si c’était encore possible. À ces moments-là, je ne voulais pas deviner la suite de son histoire.

Dernièrement, lorsque je l’ai croisée sur MSN, elle me disait qu’elle viendrait au Québec dans quelques mois avec l’ONG qui m’avait amenée au Mali. Deux semaines plus tard, le projet tombait à l’eau. Elle semblait désespérée. Je ne pouvais rien faire pour elle.

*

Il vient toujours des groupes de Québécois à Bamako, elle suit les vagues, charmant chacun, passant ses longues soirées à rire et à pratiquer son accent. Mais de retour dans leur pays, aucun n’a jamais fait de gestes vers elle. Elle commence à s’épuiser. Les années passent et ses 20 ans ne fleuriront vraisemblablement pas au Québec ni même en France. Peut-être est-ce elle qui recherche dans Google « Babette la baleine fait de bien belles bulles » et qui atterit ici dans mon champ? Elle cherche une nouvelle fenêtre d’évasion.

4 Comments:

At 11:13 a.m., Blogger Mamathilde said...

C'est une belle histoire triste.

J'ai la gorge nouée et des frissons sur tout le corps.

 
At 2:15 p.m., Blogger Patrick Dion said...

Tu nous donnes envie de voyager et de connecter avec les autres...

 
At 7:32 p.m., Blogger Sauterelle said...

Mathilde: C'est une belle histoire triste ET vraie.

Pat: Envie de voyager? Embarque sur mon bike, on n'ira pas vite... Connecter avec les autres? Je peux aussi t'arranger ça, j'ai déjà travaillé dans le domaine électrique.

 
At 10:20 a.m., Blogger Yza said...

J'aime ce texte
merci

 

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