21.7.06

Awa

CHANGER
Nous faisons deux heures de route ensemble pour aller voir Awa. Nous sommes trois anciens stagiaires, plus de trois ans après notre séjour au Mali. Je ne peux pas les appeler mes amis, mais je suis heureuse de les revoir, de partager nos impressions sur le stage avec du recul, d’avoir des nouvelles d’eux. Je les observe, les écoute parler. Ils ont changé, mûri, pris confiance… Ils doivent dire la même chose de moi, j’imagine, j’espère.

*

Au premier coup d’œil, je ne la reconnais pas. « Tu es sûr que c’est la Awa qu’on pense ?! » que je glisse à l’oreille d’un autre stagiaire. Elle est là-bas, assise sur la galerie sans travailler (!), en pantalon (!!), sans son fils Solo sur le dos (!!!), elle nous fait de grandes salutations du bras. Elle s’approche, le pas souple, tombe dans nos bras. « Awa ! » « Sata ! » - mon prénom malien.

RETROUVER
…Mais c’est elle. Pas de doute. Y a la jolie figure. Y a les gestes, les mains ouvertes, les exclamations. Y a l’odeur. Y a la voix des femmes africaines, rauque. Y a le bambara. « Sata nyénafin! » - Sata, je me suis ennuyée! - « A ka kene? » - Comment ça va? - « Somogow ka kene? » - Comment va la famille? - Vite vite chercher les derniers mots de bambara dans ma mémoire… Et n’en trouver que très peu! Heureusement, Awa comprend mieux le français, après 6 semaines ici. Retrouver ses yeux allumés et son sourire. Retrouver les expressions, les intonations, la façon de bouger. Retrouver un lot de souvenirs, aussi.

ÉCHANGER
Nous échangeons des nouvelles sur les gens du village. Nous disons un nom et le visage d’Awa s’éclaire, probablement surprise que nous nous souvenions de cette personne, ou elle cherche quelques instants parmi les 875 habitants du village, puis elle dit invariablement : Torosite! – très bien.

Parfois, c’est plus compliqué. Nous lui demandons comment se porte le pouce de Fanta. Comme nous avions une trousse de premiers soins pour notre groupe de stagiaires lors de notre stage, nous étions devenus en quelque sorte le dispensaire du village pour les petits et gros maux de chacun. Fanta, quant à elle, avait un problème au pouce : elle ne le sentait plus et il était devenu tout noir. Elle demandait qu’on lui mette un pansement presque chaque jour. Nous étions catastrophés de voir qu’elle ne pouvait pas faire grand-chose de plus pour son début de gangrène. Alors les explications de Awa sont plus longues concernant le pouce de Fanta. On comprend par-ci par-là les mots a bana – c’est fini. C’est guéri? Le pouce est coupé? Nous ne le saurons pas.

Lorsqu’on feuillette l’album de photos de Awa, en majorité celles que nous lui avons fait parvenir, nous voyons Siriki, le maçon du village. À notre question A ka kene Siriki?, Awa devient grave. Siriki a bana. 2005.

PARTAGER
Les Tardif hébergent Awa et deux autres Maliens durant deux semaines. Ils nous reçoivent pour l’après-midi. Arrivent quelques minutent plus tard deux femmes et leurs enfants. Elles viennent refaire les tresses de Awa. Nous sommes maintenant une quinzaine de personnes à parler, à rire, à partager. Les arbres et les champs nous entourent, le soleil est chaud, l’eau est sucrée, la bière est fraîche.

VIVRE
Je regarde Awa, curieuse, goûter à ce qui est sur la table : nachos-salsa, blé d'inde, arachides salées. Abdulaye, l'autre villageois en échange, griffonne des notes dans son cahier dont il ne se sépare pas. Ndji, l'accompagnateur de l'ONG malienne, sourit quand on lui parle de son premier enfant, qu'il n'a encore jamais vu. Son fils est né le 15 juin, alors que Ndji était déjà au Québec. Il nous donne des nouvelles de l'avancement des projets au village, des autres employés de l'ONG que nous connaissons. C'est bon de réentendre sa voix basse et calme et ses explications interminables. Monsieur Tardif, pour sa part, nous raconte ses séjours de plusieurs années en Afrique et en Asie, ainsi que ses projets d'aller au Viêt-Nam à l'automne et au Mali en 2008. Je me sens chanceuse d'être entourée de gens si inspirants.

OFFRIR
Je confie à Awa des lettres à remettre à ma famille au village. Elles sont entre bonnes mains. Je lui offre des photos d'elle et de nous, au village. Elle est ravie! Elle disparaît un moment, puis revient avec deux minuscules élastiques. Un rouge, un bourgogne. Petites traces de notre rencontre.

TOUCHER
Nous nous regardons en souriant, les « Sata! » et les « Awa! » exprimant ce que mon français et son bambara ne peuvent pas se dire. Je prends ses mains. Je retrouve les creux et les rudeurs, la force du travail quotidien. Elle dit: « Ça c'est bara - travail. » Elle prend mes mains, touche mes pieds. Je dis: « Ça c'est pas bara! » Elle dit: « Ça c'est écrire! » Nous rions, main dans la main.

AIMER
Nous buvons le thé ensemble, le troisième, doux comme l’amour.

1 Comments:

At 2:42 p.m., Blogger Patrick Dion said...

Kessé qu'un réparateur fait pas faire !!! Haha !

 

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