2.7.06

Nez au vent

J’ai seulement glissé, il y a quelques semaines, que j’aime les cimetières. Je m’y sens bien. En paix. Bon endroit pour l’être, direz-vous. Il m’a répondu qu’il reposerait à Côte-des-Neiges, et qu’il était heureux d’être uni à Montréal pour toujours. Alors j’ai probablement réfléchi tout haut au fait qu’on pourrait aller voir son lot un après-midi.

Il m’est revenu là-dessus quelques jours plus tard. Et puis le lendemain. Je sentais bien que ça l’intriguait, le tentait d’aller tâter le terrain.

*

Dimanche après-midi, nous allons voir son grand-père et sa grand-mère, à Notre-Dame-des-Neiges. Trente ans qu’il n’a mis les pieds en cet endroit. Pourtant il file, nez au vent, tourne à droite au deuxième chemin (c’est la seule indication qu’il a retenue, sur la carte du cimetière), et continue. Un moment, il se sent oppressé. La mort lui fait peur et il s’en approche.

Il se souvient ensuite que son grand-père a été enterré sous une simple dalle, sans tombe. Il voit un bout de terrain où ne se trouvent que des plaques. Voilà, il est certain que c’est là.

Une marmotte nous attend, bien vivante et bien grasse. Nous étudions l’entrée du terrier où elle s’est réfugiée, nous voyons son museau qui frétille quelques centimètres plus loin. Nous lui conseillons de ne pas grignoter les pieds de Léo.

Et puis nous grimpons. Il marche droit vers la tombe 167, sans douter un seul instant qu’il est au bon endroit. Je cours vers la petite pancarte qui indique les sections. Il a raison.

Nous nous assoyons sur les dalles voisines. Il déblaie la terre et le gazon qui commencent à cacher sérieusement l’inscription. Je savais qu’il le ferait, et je le laisse travailler seul. À lui de le faire. Je le regarde : il ressemble à un gamin jouant dans son carré de sable. Nous sortons les fraises fraîches. Il a les mains salies de terre et de jus rouge, et il me raconte ses souvenirs. Je l’écoute, le vent soulève mes cheveux, une chenille apparaît sur la dalle.

Je le sens ému, heureux d’être là. Il était oppressé il y a quelques minutes, je le vois fébrile maintenant. Il est fier d’être venu, enfin, après toutes ces années, visiter grand-papa et grand-maman. Je sais qu’il est content de poser ce geste avec moi.

Surtout, je sens qu’il pense à lui. À son passage dans la vie, qui se terminera un jour. Il croit que la vie s’arrête au moment de la mort. Je pense que ça continue ailleurs. Il réfléchit d’ailleurs souvent à ce qu’il laissera derrière. J’admire son besoin intense de vivre chaque minute comme si c’était la dernière, pour voir et faire tout ce dont il rêve. Je suis à ses côtés et je l’aime un peu plus, pour cette sensibilité qu’il partage et pour cette passion qu’il m’offre.

Ce sera son chez-lui éventuellement, et ça le trouble. C’est probablement l’explication de son malaise un peu plus tôt. Une grande plaine de dalles donnant sur des milliers de tombes l’attend. Le regard est bloqué par le mur d’arbres cachant Côte-des-Neiges. « Fuck! Je pensais que j’aurais une meilleure vue que ça sur Montréal! » C’est aussi son genre de réflexion en ce genre de moment…

3 Comments:

At 10:58 p.m., Blogger Patrick Dion said...

Si chaque minute de ma vie peut couler aussi magnifiquement que celles que j'ai passées à sentir la douceur de cette brise d'été cet après-midi avec toi, tout ne pourra jamais être vain.

 
At 11:57 a.m., Blogger Mamathilde said...

Très beau texte ma Sauterelle. J'aime quand tu écris amoureusement.

 
At 8:58 a.m., Anonymous Anonyme said...

Quel talent tu as...quel beau texte.

 

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